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 Antoine Léger l'anthropophage

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ElricWarrior
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MessageSujet: Antoine Léger l'anthropophage   Antoine Léger l'anthropophage EmptyJeu 5 Sep - 15:06

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Le 10 août 1824, près de La Ferté-Alais (Essonne), Constance Debully, âgée de douze ans et demi, partie pour aller ébourgeonner des plans de vigne, a disparu. On découvre quelques jours plus tard son cadavre soigneusement dissimulé dans la « grotte de la Charbonnière ». Antoine Léger est vite retrouvé et reconnu coupable du meurtre et du viol de la petite fille, dont il avait dévoré une partie du cadavre et bu le sang. Après un procès à huis clos à la Cour d’assises de Versailles, Léger, devenu « loup-garou », est condamné à la guillotine, sans montrer la moindre émotion.
Le cas d’Antoine Léger puise dans l’horreur sa lumière sombre, susceptible d’éclairer une histoire de ce que l’on peut nommer le mal. Cette étude a voulu être attentive au cheminement qui fait du crime d’Antoine Léger une affaire judiciaire, puis un cas médical intéressant plusieurs générations de psychiatres, à un moment où l’on scrute l’intériorité des criminels et les ressorts moraux des actions humaines : de Georget, contemporain de l’affaire, qui défend l’idée d’un acte fou, jusqu’à Krafft-Ebing qui à la fin du siècle inscrit la jouissance du mal qu’il nomme sadisme dans une conception neuve du psychisme. Laurence Guignard rassemble la série des textes qui ont mobilisé le cas Léger, montrant combien l’étiologie de la perversité puis des perversions a constitué un axe fécond de l’histoire de la psychiatrie.

Ce recueil rassemble la série des textes qui ont mobilisé le cas

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MessageSujet: Re: Antoine Léger l'anthropophage   Antoine Léger l'anthropophage EmptyJeu 12 Déc - 8:34

Crime et Psychiatrie. Antoine Léger, le lycanthrope : une étape dans la généalogie des perversions sexuelles (1824–1903) Laurence Guignard


C’est par le crime que j’ai commencé à m’intéresser à l’histoire de la psychiatrie, fortement intéressée il faut bien le constater par la face sombre de l’histoire des sociétés. D’abord avec un mémoire de maîtrise consacré au spectacle des supplices publics à Paris et probablement aussi avec un professeur, Alain Corbin, qui avait suggéré le sujet et la démarche — une branche de l’histoire des représentations qu’est l’histoire des sensibilités. Ce travail m’a amenée à lire les travaux de Michel Foucault, particulièrement Surveiller et Punir [1], qui avaient permis de voir dans ces scènes macabres un rite social de réintégration symbolique des condamnés par une peine qui conservait son caractère expiatoire. C’était l’érosion de ce socle signifiant qui avait laissé entrevoir la violence de l’exécution capitale et ouvert la voie de sa disparition.Là avait surgi la question troublante du libre arbitre et de la responsabilité des actes, et sur-tout, en revers, celle des atténuations possibles de la culpabilité, jusqu’à l’irresponsabilité des aliénés « en état de démence au temps de l’action » (art. 64 du Code pénal). Une notion à la fois très ancienne, qui renvoyait à l’antique irresponsabilité des furieux et des idiots — conçue comme une disparition de la subjectivité — dont on perçoit progressivement l’inadéquation aux formes subjectives nouvelles bien plus graduées, mais aussi une notion moderne en ce qu’elle permettait, par l’intermédiaire des experts, l’introduction en justice des conceptions neuves du sujet et de la maladie mentale dont la psychiatrie est porteuse.

Antoine Léger l'anthropophage Crane10

Crâne d'Antoine Léger. Collection Gall. Collections anthropologiques du Museum d'histoire naturelle de Paris.


J’y ai vu, intuitivement d’abord, le lieu d’émergence d’une aporie de notre temps qui a constitué le cœur des travaux ultérieurs.La manière d’alors imposait de se détourner des textes normatifs pour envisager les pratiques dont la dimension discursive forme l’essentiel de la matière des historiens : la justice des Assises fournirait un excellent observatoire. Je tenterai de saisir comment on avait pu y répondre à la question de l’irresponsabilité pénale des inculpés, lorsque celle-ci s’était posée.C’est le caractère processuel de l’activité judiciaire qui m’intéressait, la manière dont les discours avaient pu s’incarner dans des séries d’acteurs — policiers, témoins, médecins experts, avocats, inculpés eux-mêmes, magistrats, etc. — pour parvenir à produire un verdict (suffisamment)légitime. Le poids des logiques sociales est évidemment essentiel dans ce processus collectif d’appréciation d’un individu, incluant le geste criminel, mais aussi des éléments personnels comme le sexe, le statut social de l’inculpé, les solidarités qui l’encadrent, sa réputation ou le type de maladie dont il souffre, sans pour autant masquer des inflexions majeures dans les discours. Finalement, trois figures de criminel apparaissaient successivement, à un rythme étonnamment court — 25 ans, une génération : le criminel aliéné s’affirme au milieu des années 1820,avec la monomanie homicide, et domine les années 1830 rendant l’indulgence judiciaire possible.L’ancien criminel pervers, celui qui, pêcheur et relaps, en est arrivé à aimer le mal comme un bien, retrouve une place de premier plan sous le Second Empire et enfin, l’homme dangereux émerge après 1860 préfigurant une justice plus attentive à la défense sociale. Trois figures qui en réalité se conjuguent et alternent au gré de rapports de force socio-politiques, sans jamais disparaître totalement, qui survivent et organisent, de manière bien peu cohérente, les représentations actuelles [2].

1. Antoine Léger, le lycanthrope

Depuis une quinzaine d’années, l’histoire de la médecine, et plus généralement l’histoire des sciences, s’est profondément renouvelée.
Elle s’est ouverte à l’histoire culturelle attentive à la circulation des objets intellectuels — idées, figures, récits — entre des pratiques et registres savants plus divers que les disciplines scientifiques constituées, faisant parfois fi de frontières en apparence étanches. Elle s’est ainsi inscrite dans la perspective plus large d’une histoire des savoirs, des « porteurs de vérité et de sens » [3].Mon récent travail sur le cas Léger traduit ces tendances historiographiques. Il propose, à partir d’une affaire judiciaire de 1824, successivement réappropriée jusqu’au début du XXe siècle, de saisir l’histoire des différents « systèmes d’appréciation » [4,5] d’un crime et d’en comprendre le cheminement. En cette matière, plus que la banalité, c’est l’exceptionnel et le paroxystique qui paraissent le mieux capable de cristalliser les discours, pour les rendre visibles et lisibles. L’affaire Léger répond à coup sûr à cette première règle car on a là une des plus horribles affaires du siècle : c’est en effet comme assassin, violeur et anthropophage que Léger émerge de la masse des anonymes. Ses actes l’inscrivent dans la dynastie sombre des criminels atroces, des « monstres »,dont la « nature contre nature » [5]1défie les catégories morales d’analyse, tout autant que les frontières de l’humanité. En 1824, les catégories du mal, et particulièrement le surcroît irrationnel qu’est la cruauté, se transforment : elles échappent à la pensée pénale issue des Lumières qui fait du crime le fruit d’un calcul rationnel et relègue l’activité du diable à la littérature, ou à des croyances populaires alors nettement refoulées hors de la pensée savante [7]. Ces lacunes ouvrent un espace à de nouvelles interprétations dont peuvent s’emparer l’aliénisme naissant, les sciences de la subjectivité, puis la criminologie [9]. Le régime d’immoralité s’infléchit en un régime d’anormalité. Formules fortes et abstraites dont on cherche actuellement à matérialiser le cheminement intellectuel. Dans ce parcours, le cas Léger apparaît comme un fil rouge : un point de résistance aux discours qui le constituent sans parvenir à en épuiser le sens. C’est en ce sens qu’il répond aux critères d’une heuristique des cas élaborée depuis les années 1990 autour de la micro-histoire, et née d’un intérêt renouvelé pour l’histoire des singularités individuelles, pour« l’exceptionnel normal » suivant la belle formule d’Edoardo Grendi. Le cas est ainsi « susceptible de redéfinir avec lui une autre formulation de la normalité et de ses exceptions » [12]. C’est un catalyseur mais il est surtout, parce qu’irréductible aux catégories ordinaires, susceptible de faire penser autrement. On propose, dans cette optique, de suivre le cas Léger en une histoire qui mène de la cour d’assises de Seine-et-Oise sous la Restauration jusqu’au cabinet de Richard vonKrafft-Ebing.

2. L’affaire judiciaire

C’est d’abord l’enquête judiciaire qui produit un premier récit. Elle met en évidence certaines« formes émergentes de la production du vrai » ([13], p. 13). L’épais dossier d’instruction s’amorce par la disparition de Constance Debully, douze ans et demi, fille de vignerons d’Itteville en Seine-et-Oise (actuelle Essonne). Il décrit les battues qui permettent de retrouver le cadavre dissimulé dans la « grotte de la Charbonnière ». La collecte des preuves par les méthodes modernes d’investigation constitutives de la justice occidentale se fonde, au moins depuis la Renaissance, sur la recherche de preuves objectives. Ici, c’est en premier lieu l’autopsie, véritable « mise en preuve du corps violenté » [14], qui permet la description des gestes criminels et la qualification du crime :un assassinat ainsi qu’un viol désigné comme une sodomie. La circonstance est particulièrement répulsive aux sensibilités du temps et alourdit la gravité d’un crime défini depuis 1791 (art. 29 du Code pénal). Le coupable est lui rapidement confondu. On décrit son parcours le mois précéden t le crime, le départ de la maison de ses parents, le 24 juin, sa fuite dans les bois où il survit caché dans la grotte de la Charbonnière jusqu’au jour du crime, le 10 août. Lors de la traditionnelle confrontation du suspect au cadavre de sa victime, Léger se livre à des aveux circonstanciés qui dépassent les attentes des magistrats puisqu’il ajoute aux faits établis par l’autopsie des actes indécelables d’anthropophagie : consommation de sang, du cœur et des organes génitaux.C’est donc à un inculpé que s’attache le second volet de l’enquête, qui concerne « l’élément moral du crime » et suscite des investigations bien plus neuves. À partir de la vieille notion juridique d’« intention », les enquêtes du XIXe siècle tentent une évaluation plus ample dela « volonté morale », qui s’enracine dans l’intériorité. La notion, puisée dans la psychologie morale très connue des juristes, permet de répondre au mouvement d’individualisation des peines et d’évaluation de la personnalité du criminel qui s’amorce. Le dossier recèle pour cela des investigations particulièrement développées sur la santé mentale d’abord, puis sur les motifs du crime qui révèlent les centres d’intérêt neufs de l’époque.La question de la santé mentale surgit très tôt. Le maire de Saint-Martin Bréthencourt où vit Léger affirme que ce dernier « est reconnu pour avoir la tête un peu faible »5. Les enquêteurs se tournent vers l’entourage proche de Léger, d’abord son père, qui atteste la bonne réputation,mais évoque aussi la dégradation de l’état moral de son fils. Il mentionne une fugue, trois ans auparavant et ajoute quelques épisodes éclairants :« Au mois de mars dernier, il s’est jeté dans une petite rivière disant qu’il avait trop chaud,il était alors très bien habillé. Il a jeté quelques temps après tous les chats de son père à larivière après leur avoir attaché des pierres au col ; quinze jours avant la Saint-Jean dernier,il dit à son père que ce n’était pas la peine d’acheter un porc cette année, et pendant les15 jours qui ont précédé son départ, il ne voulait plus travailler, il disait qu’il avait la pierre,il dit ensuite qu’il est poitrinaire »6.Déposition hybride sur laquelle il faudra revenir.Une seconde vague de dépositions qui sollicite une douzaine de témoins, porte « sur le moralet les actions de Léger avant son départ, les antécédents, les habitudes, la manière de vivre et de travailler, ses amusements, ses défauts, son caractère, les altérations qu’on y aurait remarquées, les 584 L. Guignard / L’évolution psychiatrique 82 (2017) 579–591 causes, les motifs de son départ et les circonstances qui l’ont déterminé »7: une véritable enquête de personnalité pionnière pour l’époque. L’avis collectif qui en sort est plus tranché : « aucun indice d’aliénation mentale et encore moins de démence furieuse »8, validant très certainement une opinion collectivement constituée au village après le crime, et qui fait de Léger un coupable méritant condamnation. L’enquête ajoute des antécédents familiaux — un frère « faible d’esprit »,un oncle mort à Bicêtre. Et surtout les interrogatoires de Léger, qui révèlent une rare finesse psychologique, composent un portrait de mélancolique, capable d’étayer l’hypothèse d’un état de démence. Léger évoque son incapacité à travailler, « son dégout de la vie »9, son désir « de mourir dans les bois »10 — penchant rarement évoqué compte tenu du tabou qui pèse encore sur le suicide. « J’avais la tête cassée »11, affirme-t-il. Il se décrit enfin « errant parmi les bois, abandonné à [s]on désespoir, cherchant toutes les occasions de quitter la vie »12. L’expertise médicale est le dernier élément, exceptionnel avant 1860, de cette enquête modèle. Les médecins des prisonsde Versailles et d’Etampes apportent deux avis concordants avec les preuves précédentes : Léger n’est pas fou. La conscience de l’acte établie par l’enquête n’épuise pas, cependant, le mystère ducrime, car si le criminel n’est pas fou, il importe d’établir la rationalité de son crime en cernant ses motifs. C’est cette seconde question qui amène le juge à s’intéresser aux comportements sexuels et alimentaires de l’inculpé.Les interrogations doivent être replacées dans leur contexte. En 1824, le mot « sexualité »n’existe pas, il ne fait son apparition qu’en 1837 [15]13 et la sexualité ne devient que tard dans le siècle « l’élément clé de la subjectivité moderne » [18] qu’elle est actuellement. En matière« d’activité vénérienne », les médecins du XIXesiècle recommandent la modération et la régularité. Clyde Plumauzille, fine lectrice, a ainsi noté la constitution précoce d’un savoir sur la sexualité, insistant d’abord sur des catégories de déviance évaluées par la quantité : le trop ou le trop peu [18]. Continence, masturbation sont dangereuses, tandis que du côté de l’hypersexualité masculine, on trouve deux types de troubles : l’ancienne satyriasis placée du côté de l’activité organique, d’une part, et la jeune érotomanie de l’autre correspondant à un état émotionnel initialement peu distinct des sentiments, mais susceptibles d’entraîner, par « irradiation », des troubles organiques secondaires. « Dans l’érotomanie, l’amour est dans la tête » ([19], p. 186), écrit Esquirol en 1810, « [dans le satyriasis], le mal vient des organes »14. Ces catégories permettent de comprendre les remarques du docteur Ballu qui mentionne très tôt « la longueur et la grosseur peu commune de son pénis. [. . .] L’examen jette, écrit-il, beaucoup de lumières sur la cause première du meurtre »15. Mais ils éclairent surtout les interrogatoires qui portent sur la continence sexuelle et la masturbation. Ceux-ci révèlent un Léger de 29 ans, non marié, « timide », « fuyant la société des femmes », qui « n’a jamais fréquenté les danses ». Il paraît ainsi marqué par une immaturité sexuelle qui, dans une certaine mesure, rappelle celle de Pierre Rivière [22,23]16.L’enquête s’avère peu concluante et voit la dimension sexuelle du crime reléguée au second plan,tout au moins dans la première phase de l’histoire du cas.Le geste anthropophage subit une trajectoire inverse. Il motive des investigations sur le comportement alimentaire de l’inculpé. Les écrits médicaux ont tendance à rationaliser l’acte en insistantsur ses motivations matérielles — la faim— l’anthropophagie est susceptible d’apporter un mobile convenable.Respectueux des principes du droit, le juge s’attache à hiérarchiser les motifs en de macabres interrogatoires18, car il paraît alors impossible de proposer une catégorie unique de compréhension. Pressé de questions, Léger finit par affirmer qu’il a tué pour manger et va jusqu’à nier le viol qui sera déqualifié en attentat à la pudeur, suivant un processus classique d’élision des éléments sexuels ([24], p. 57–74). Lors du procès, le réquisitoire du procureur du roi confirme la sélection des informations et dresse un portrait de Léger en pervers anthropophage dont le crime doit être expié. C’est celui-ci qui est condamné à mort puis exécuté. C’est aussi ce Léger anthropophage qui est retenu par les écrits médiatiques jusqu’au Grand Larousse universel du XIXesiècle ([25],p. 67), ([26], p. 268–282), ([27], p. 326).Les aliénistes s’emparent parallèlement de l’affaire pour défendre une hypothèse alternative :celle de l’aliénation mentale. Les années 1820 marquent en effet un premier effort de l’aliénisme en direction de la scène judiciaire, orchestré par les sommités parisiennes, autour de la monomanie homicide [28]. Esquirol et Georget assistent ainsi au procès Léger. On a conservé de cette première médicalisation du cas, le crâne d’Antoine Léger, disséqué par Gall et placé dans sa collection phrénologique avec un moulage de son visage19 [31]. Ces pièces se trouvent aujourd’hui dans les collections scientifiques du Laboratoire d’anthropologie de Paris (Fig. 1–3).

Antoine Léger l'anthropophage Buste-10


3. Penser par figures

Si cette première lecture de l’affaire montre l’impossibilité de nouer entre eux les différents éléments du crime, une lecture alternative, plus englobante, affleure dans le dossier. Sa présence révèle des divergences sociales profondes dans les modalités de discours sur soi, ou tout au moins,dans le régime des choses dicibles en justice. Leur porter attention fait apparaître une autre histoire.« C’était le malin esprit qui me poussait », affirme Léger à propos de son crime, à plu-sieurs reprises. De même, sa mère évoque un « sortilège ». Le « sort », « l’esprit malin »,le « démon » qui tourmente, la « malheureuse pensée », « l’emprise d’une idée fixe » ([2],p. 176–185), apparaissent rarement mais régulièrement dans les dossiers de justice — tout autant que dans les archives des asiles — sans pour autant provoquer plus d’enquête. Ces formules sug-gèrent l’existence d’un combat dont le crime marquerait la défaite malheureuse. De la possession qui saisit le sujet de l’extérieur, à la tentation qui laisse une part à l’investissement subjectif,les interrogatoires judiciaires déclinent des formes subjectivement graduées du « noir pullule-ment des intentions inavouables » (Michel de Certeau [33], p. 46), et désignent un mécanisme paradoxal d’appropriation individuelle des actes, qui s’effectue principalement sur le mode de la dépossession de soi.Ici, tout l’épisode criminel, depuis la fuite dans les bois à la Saint-Jean, décrit précisément comme une rupture sans retour, jusqu’au crime commis à la lisière du monde sauvage où Légers’est réfugié, renvoie à une geste très précisément constituée : celle du loup.Léger explique ainsi son départ par une maladie qui prend des formes diverses — mal à l’estomac, rhume, fièvre, « un fond de mélancolie que je n’ai pu vaincre »20, mal de rein, mal de poitrine : cette maladie polymorphe qui incarne le mal et désigne son auteur, renvoie à la conception ancienne du « mal qui prend le corps », décrite par Jean-Claude Schmitt, dont « la possession démoniaque est le paradigme » ([34], p. 151) et le loup-garou une forme possible.

Elle permet d’établir un continuum entre les symptômes physiques, moraux et le crime.Toute une série de menus faits, en apparence banals, prennent alors sens : Léger se serait ainsi baigné tout habillé dans une mare, il fait de même un usage inhabituel de ses vêtements, jetés,vendus ou achetés d’occasion. Le folkloriste Claude Seignole a expliqué comment, en Picardie,« chaque samedi dans le Bois aux Fées, on pouvait voir un homme qui après avoir déposé ses habits sur un buisson se “touillait” (roulait) dans la vase et ne tardait pas à en sortir transformé en loup » ([35], p. 302). De même, les habits retrouvés ou perdus sont un thème récurrent des transformations lycanthropiques, car, dans l’économie de rareté qui est encore celle de la société du XIXe siècle, le loup qui égare ses vêtements ne pourra plus retrouver forme humaine ([36],p. 18).Le calendrier vient confirmer l’hypothèse : Léger quitte sa famille le jour de la Saint-Jean,jour de solstice, voué aux fêtes de jeunesse, et fort moment de libération pulsionnelle. C’est aussi une nuit favorable aux transformations monstrueuses. La très sérieuse publication du Bureau des longitudes, La Connaissance des Temps, précise enfin que le jour même du crime suit une nuit éclairée de 19 h 16 à 7 h 19 par une Lune pleine [37]. Le faisceau d’indices concorde pour affirmer que c’est très certainement comme loup-garou que Léger a lui-même vécu son crime.Il ne nous appartient pas d’établir la fonction psychique d’une figure telle que celle du loup-garou, qu’il soit victime malheureuse d’un sort ou lui-même sorcier car ces deux options sont possibles : support d’identification ou catalyseur de pulsions, qui travaille sans doute d’anciennes terreurs de dévoration. Du point de vue anthropologique, ces « êtres mixtes » [38] interrogent les frontières de l’humain tout autant qu’ils contribuent à les définir. Le loup-garou incarne,quoiqu’il en soit, une sauvagerie multiforme dont l’anthropophagie et l’attentat sexuel sont les manifestations les plus évidentes. La figure donne cohérence à des séries de gestes criminels qu’elle permet d’associer.Pourtant, en 1824, la geste du loup échappe à la raison juridique et a disparu des « théories officielles du malheur » ([40], p. 27), évoquées par Jeanne Favret-Saada. Le fait est nouveau carelle a précédemment franchi la frontière des savoirs savants, depuis les débats démonologiques du XVIIe siècle, chez Jean Bodin par exemple 23, ou dans une autre tradition qui puise aux sources de la médecine antique pour définir la lycanthropie comme un trouble de l’esprit. Jean de Nynauld [42]ou Claude Prieur [43] y ont ainsi vu une forme de mélancolie, que l’on retrouve au XVIIIe siècle et encore chez les premiers aliénistes : Pinel en mentionne avec prudence l’existence 24, et elles’insère sans trop de difficulté dans la nomenclature des monomanies (chez Marc, Leuret, Trélat)25.Par la suite, l’intérêt pour le loup-garou s’inscrit davantage dans une perspective historique, chez des médecins engagés comme historiens ou folkloristes amateurs dans des travaux de sociétés savantes très nombreuses après 1850 [47] Calmeil ([48], p. 314 sq.), Moreau de Tour [49], Régis ouKrafft-Ebing se livrent de même à de tels travaux (les références dont nombreuses ([50] p. 318 sq.)[51,52]).La lycanthropie savante peut ainsi rencontrer le cas clinique Léger. La première médicalisation du cas connaît en effet une postérité assez longue : Léger apparaît dans une quinzaine d’ouvrages aliénistes, au moins, entre 1825 et 1903 et se voit attribuer une succession signifiante de diagnostics : il est « imbécile » pour Georget, « monomane » pour Scipion Pinel (le fils), puis érotomane en 1840 chez Marc. Pour Andral en 1842, il a « été saisi d’un désir invincible de porter atteinte à l’existence de ses semblables », de même que chez Barbaste en 1856. Mais pour Jean-Francois Leuret en 1834 « il tue comme tuaient les loups-garous » ([45], p. 112), et Maxime du Camp ose en faire, en 1872, un « maniaque frappé de lycanthropie » ([53], p. 62).On abandonne ensuite la symptomatologie des actes et des délires pour les penchants, l’instinct puis la perversion. Claude-Olivier Doron a montré qu’il faut attendre les années 1860 pour trouver« une analyse de l’état pervers entendue comme un trait constitutif d’un sujet » ([54], p. 48), évolution fondamentale qui permet un important changement de perspective à la fin des années 1880.C’est dans ce cadre qu’apparaît une catégorie radicalement neuve : celle des criminels sadiques.Celle-ci permet, d’une certaine manière, de conserver l’unité de comportement suggérée par la lycanthropie : Léger n’est désormais plus violeur et anthropophage, mais atteint de perversions sexuelles. Benjamin Ball, pionnier en France, le place ainsi parmi les sanguinaires « pour lesquels l’instinct sexuel n’est point satisfait par le coït [. . .]. Le désir se transforme aussitôt en fureur et conduit à la férocité, au meurtre et à l’anthropophagie » ([55], p. 128). L’observation est intégralement reprise par la suite par Alexandre Lacassagne, puis par Émile Laurent ([56], p. 347), ([57],p. 91). Ce dernier formule cependant un diagnostic neurologique — la paralysie générale — à la différence de Krafft-Ebing qui est le seul à proposer une lecture exclusivement psychique des perversions sexuelles, dégagées des dégénérescences et des hypothèses neurologiques. Dans son célèbre Psychopathia sexualis, dont le texte allemand date de 1886 ([58], p. 83), on trouve bien Antoine Léger, « monstre psycho-sexuel », auteur d’un « crime sadiste », et plus précisément d’un« assassinat par volupté ». Le ressort en est la jouissance – non plus une jouissance du mal associée à l’ancienne perversité, mais une jouissance sexuelle. À la fin du siècle, Léger figure ainsi comme un élément pionnier, historique, de l’élaboration d’une psychopathologie de la cruauté. L’ouvrage d’Émile Laurent achève, en 1903, le cycle psychiatrique du cas Léger, dont on retrouve cependant la trace dans les années 1960, dans un autre registre, chez le démonologue contemporain Roland Villeneuve, pour qui Léger est un éventreur et « aurait fait un parfait loup-garou » ([59], p. 162).Le cas Léger éclaire à plusieurs niveaux les mécanismes de circulations des savoirs : celles internes à la médecine clinique, fondée sur des observations directes et indirectes de cas, qui forment corpus, celle des échanges frontaliers entre disciplines (médecine/démonologie), ou entre différents régimes de savoir : savoirs savants/savoirs profanes. Il faudrait enquêter davantage sur le rôle de l’investissement polymorphe des bourgeoisies occidentales en faveur d’un inventaire des savoirs historiques, folkloriques ou archéologiques, dans la seconde moitié du siècle, qui contribue sans aucun doute à redistribuer d’anciennes données.L’analyse du cheminement des interprétations du cas Léger, et la succession des instances explicatives du cas — imbécilité, monomanie, érotomanie, lycanthropie, puis crime sadisme —permet de rapprocher la figure du loup de la catégorie du sadisme. Ce cas n’est pas unique :Amandine Malivin dans une thèse récente a ainsi rapproché la figure plus récente du vampire de celle du nécrophile [60]. De même, on connaît les efforts de Charcot en direction de l’iconographieancienne de la possession alors qu’il travaillait sur l’hystérie. Comme si ces image-relais, dans ses figures à penser, étaient capables d’associer des éléments jusque-là hétérogènes et, d’une certainemanière, d’apporter leur contribution silencieuse aux propositions ultérieures de Krafft-Ebing. Lecas Léger paraît ainsi éclairer une des voies d’émergence de conceptions neuves qui, autour de la cruauté, mène de la perversité aux perversions sexuelles, par un détour lycanthropique.

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