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 MAURICE LEVEL : LES YEUX OUVERTS

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ElricWarrior
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Feuille de Sadique
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MessageSujet: MAURICE LEVEL : LES YEUX OUVERTS   MAURICE LEVEL : LES YEUX OUVERTS EmptyVen 3 Jan - 7:50

Sur son lit, le buste raide, les cheveux hérissés, le mort avait une effrayante face. Sa bouche était tordue, ses lèvres retroussées ; de ses deux mains, il étreignait sa gorge, et dans la pénombre de la chambre, qu’une petite lampe éclairait mal, ses yeux avaient l’air de vivre encore, tant l’épouvante du dernier regard y était demeurée formidable. Près de lit, entre le commissaire, des agents et le médecin éveillés en hâte, le domestique reprenait son récit, les doigts devant son visage, comme pour dérober à sa vue ce mort terrible.

« Il pouvait être onze heures ; monsieur était couché et j’allais monter dans ma chambre, quand j’entendis un cri… mais un cri !… Je grimpe l’escalier, je frappe à la porte de monsieur, on ne répond pas, j’entre et je vois… Je me rejette en arrière, j’ouvre la bouche pour appeler au secours, quand je distingue deux ombres qui couraient le long de la rampe… Alors, j’ai dégringolé l’escalier, je me suis sauve par le jardin pour prévenir… Mais, pour le sûr, personne n’a pu s’échapper parce que j’avais fermé la porte à double tour et que toutes les fenêtres sont garnies de barreaux.

– Soupçonnez-vous quelqu’un ?… Ces ombres, êtes-vous certain de n’avoir pas cru les voir ? »

Le domestique esquissa un geste vague, puis reprit, hésitant :

« Eh bien, oui… Depuis deux ans, il y avait ici une femme de chambre qui était, autant dire, la maîtresse. Monsieur avait soixante-quinze ans, elle était jeune… n’est-ce pas ?… Enfin, elle commandait, elle avait les clés, et on disait qu’un jour elle hériterait. Malgré cela, la nuit, elle faisait entrer un individu, oh ! un pas grand-chose… Nous, on n’osait rien dire… Mais, puisque maintenant la justice est là, il faut que la justice sache… et, tout à l’heure, les ombres que j’ai vues… c’étaient eux.

– Vous savez que c’est bien grave, cela ? »

Cette fois, le domestique répondit avec assurance :

« Je sais.

– Bon. Faites venir la femme de chambre. »

À demi vêtue, les cheveux mal relevés, croisant son caraco sur sa gorge, elle entra en tremblant et, avant qu’on lui eût posé la moindre question, se mit à larmoyer.

« Ce n’est pas moi.

– Docteur, voulez-vous examiner le corps en le déplaçant le moins possible ? » fit le commissaire ; puis, se tournant vers la fille :

« Où étiez-vous quand on est venu vous chercher ?

– Dans ma chambre, monsieur.

– Seule ? »

Elle répondit assez naturellement :

« Dame !… »

Il y eut un petit silence. Elle se remit à trembler si fort que ses dents s’entrechoquaient.

« Pourquoi avez-vous peur ? De quoi avez-vous peur ? »

D’un hochement de tête, elle indiqua le corps et balbutia :

« De ça… de lui… de monsieur… Il me regarde…

– Pas d’enfantillages, hein ? Reprenons. On dit que vous étiez la maîtresse de ce malheureux. Est-ce vrai ? »

Elle porta les mains à sa gorge, et, les yeux fixés sur les yeux du mort, bégaya :

« Je ne peux pas… je ne peux pas le regarder…

– Ni vous ni votre amant – car vous aviez un autre amant – n’ignoriez pas qu’il était très riche ?

– Je ne sais pas… Je n’avais pas d’amant.

– Quel était donc cet homme, qui, cette nuit, s’introduisait ici ?…

– Je ne sais pas…

– Avec qui, tout à l’heure, fuyiez-vous dans l’escalier ?

– Je ne sais pas.

– Qui est maintenant derrière cette porte, entre deux gendarmes ?

– C’est vrai… j’ai menti, fit-elle, la tête basse. Mais, pour le reste, je ne sais rien.

– Voulez-vous venir une seconde ? » demanda le docteur au commissaire.

La fille se remit à trembler et cacha sa figure dans ses mains.

« J’ai peur… Il me regarde… Emmenez-moi… »

Penché sur le corps et l’effleurant du doigt, le médecin parlait à voix basse.

« Je ne vois rien. Je ne trouve rien. Pas la moindre trace de violence, pas une égratignure.

– Il aurait donc été empoisonné ?

– Empoisonné, empoisonné ?… Empoisonné de force, alors. Mais, dans ce cas, nous revenons à la violence, car il faut serrer la gorge, pincer le nez pour l’obliger à ouvrir la bouche, et on trouve un indice… un trait d’ongle sur les narines, une éraflure, une marque de pression sur le cou, quelque chose, enfin…

– Comment expliquez-vous ?

– Embolie… Arrêt brusque du cœur… Rupture d’anévrisme.

– Mort naturelle, en un mot ?

– Pourquoi pas ?

– Mais parce que… »

La fille, les doigts toujours sur le visage, gémissait plus fort.

« Emmenez-moi.. Il me regarde… Il me fait peur…

– Mais parce que, répéta très bas le commissaire, cette coquine a raison ! Regardez-le : est-ce qu’on a cette tête effrayante quand on est mort de mort naturelle ? J’ose à peine la regarder, moi. Et j’en ai vu pourtant, des morts terribles ! J’ai vu des têtes dont un coup de feu avait fait une bouillie, je suis entré dans des chambres où on marchait sur des paquets de cervelle noyés dans des flaques de sang, j’ai vu des femmes, des enfants assassinés, des brûlés qui mouraient en flambant comme des torches. Mais je n’ai rien vu ni rien imaginé d’aussi épouvantable que cette tête, que ces yeux, que cette face aux sourcils relevés, au nez déjà bleu, que cette bouche ouverte, avec ses lèvres retroussées sur les dents. Jamais vous ne me ferez croire qu’une mort naturelle ravage un être à ce point-là !

– J’ai peur… Il me regarde… balbutiait la femme.

– Puis, voilà qui est autrement précis. Écoutez cette phrase : Il me regarde. Écoutez-la. C’est un refrain, une obsession, et je le connais, ce refrain des criminels ! Ils le répètent tous devant leur victime, parce qu’ils voient son visage immobilisé dans l’attitude où elle leur apparut vivante pour la dernière fois. Allez, croyez-moi, j’en ai tant vu ! »

Il se tut, promenant son regard de la fille à la tête du mort. Les yeux du mort fixaient toujours l’ombre mystérieuse, et la fille, grelottante, répétait sans arrêt sa prière sinistre :

« Emmenez-moi… Il me regarde… Emmenez-moi… »

On ne semblait pas l’entendre, et le commissaire, baissant encore la voix, murmura :

« Docteur, je crois avoir trouvé. Je suis sûr d’avoir trouvé… J’explique le râle, l’absence complète de traces, tout !… Cette femme et son amant sont venus ici, cela ne fait pas de doute. Croyant l’homme endormi, ils ont ouvert la porte doucement. Venaient-ils pour voler ? Venaient-ils pour tuer ? L’enquête nous le dira peut-être. Mais l’homme ne dormait pas ou somnolait à peine. La preuve : il n’avait pas éteint sa lampe. En voyant apparaître dans le cadre de la porte ces deux ombres qui s’avançaient vers lui, armées peut-être, en tout cas menaçantes, il a poussé un hurlement d’effroi.

– Je ne peux plus… Je ne peux plus, gémit la femme. Il me regarde…

– Faut-il la faire sortir ? demanda un agent.

– Mais non, mais non, assez de comédie. Conduisez-la ici, à la tête du lit. Comme ça, elle ne le verra plus, puisqu’il lui tournera le dos. Vous êtes tranquille, maintenant ? Il ne vous regarde plus ! »

La fille poussa un grand soupir et cessa de supplier. Le commissaire reprit :

« Il a poussé un hurlement d’effroi. Une pareille émotion, en pleine nuit… Il n’en faut pas plus pour tuer un vieillard. Au cri, les autres ont pris peur et se sont jetés dans l’escalier : c’est à ce moment que le domestique les a aperçus. Il n’y a pas eu meurtre au sens propre du mot : il y a un homme qui est mort de peur avant qu’on ait eu le temps de le tuer. Médicalement, qu’en pensez-vous ?

– Je pense que cela n’est pas médicalement impossible. Je penserais même que c’est certain… si… si un détail ne venait m’impressionner étrangement. Regardez ce corps : la tête rentrée dans les épaules est demeurée très droite. Suivez les yeux : leur regard est direct, il se pose vers le pied du lit. Cherchez maintenant cette porte, par où seraient entrés les assassins : elle est à l’autre bout de la pièce, à plus de trois mètres sur la droite. Ces yeux, que la mort immobilisa ainsi, pouvaient-ils, ont-ils pu voir cette porte, dites ?

– Alors ? » fit le commissaire.

Le médecin n’eut pas le temps de répondre, car on entendit un cri horrible, surhumain. La femme redressée brusquement râlait, la bouche tordue, les lèvres retroussées, étreignant sa gorge à deux mains. On la soutint, croyant qu’elle allait tomber à la renverse, mais, le corps raidi, la tête rentrée dans les épaules, elle regardait fixement, hallucinée, droit devant elle. Le domestique, tremblant de peur, balbutia :

« Elle a crié comme monsieur… »

Quelqu’un debout au pied du lit, voyant sa face près de le face du mort, murmura :

« Ils ont les mêmes yeux… comme s’ils voyaient la même chose… »

Et soudain, le docteur, qui l’avait prise à bras-le-corps pour l’emporter, cria :

« Il a raison !… Elle est innocente !… Regardez… Regardez… Voilà ce qu’il a vu… voilà ce qu’elle voit ! »

Sous l’édredon, une chose noire s’avançait : une araignée géante dont les pattes velues étaient si fortes que, dans le grand silence, on les entendait grincer sur le drap, et dont le large corps au ventre rond, au dos bombé, horrible, velouté, montait avec un long balancement vers la figure épouvantée du mort.



_____




(Maurice Level, « Contes du Journal, » in Le Journal, n° 6653, mercredi 14 décembre 1910 ; nouvelle reprise dans le recueil Les Oiseaux de nuit, Paris : Ernest Flammarion, 1913)


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