Déterré dans un cimetière du 17e siècle, lui-même implanté sur un site médiéval, le squelette d'une femme entravé par une faucille au niveau du cou et un cadenas fixé au pied laisse penser aux archéologues que la défunte était considérée de son vivant comme un "démon" ou un "vampire". Il ne s'agit pas de la première tombe du genre à avoir été trouvée en Pologne.
En voilà une autre… Trouvée, là encore, dans un cimetière polonais. Qu’avait-elle donc fait pour mériter une sépulture pareille ? Comment avait-elle pu effrayer ses contemporains au point de finir prisonnière même dans la mort ? Dans le village de Pień, non loin de Bydgoszcz, dans le centre de la Pologne, le squelette de ce qui, selon les archéologues, pourrait être une "femme vampire" vient d’être découvert dans un cimetière du 17e siècle, établi sur un site d'occupation médiévale. Le corps présentait une faucille plantée de part et d’autre de son cou ainsi qu’un cadenas accroché au gros orteil de son pied gauche. Pour l'équipe de chercheurs de l'Université Nicholas Copernicus de Toruń, à l’origine de la trouvaille, de tels outils ont sans doute été placés sur la défunte au moment de son inhumation dans le but de l’empêcher de revenir à la vie et de sortir de terre.
Des fibres de soie ont été retrouvées sur le crâne de la femme, laissant penser qu'elle portait un bonnet réservé à une élite. Crédits : Miroslav Blicharski/Aleksander Poznan
Ce n’est pas la première fois qu’une dépouille est découverte dans une telle configuration en Pologne : en 2014, six tombes reprenant cet étrange rituel avaient été mises au jour dans un cimetière du Haut Moyen Âge à Drawsko, à environ 200 kilomètres de Pień. Marek Polcyn, de l’Université Lakehead, au Canada, et Elzbieta Gajda, du musée Czarnkowskiej, en Pologne, les avaient exhumés parmi 250 autres sépultures, avant de leur consacrer une étude dans le magazine spécialisé Antiquity. Avant ces six tombes, que les archéologues préfèrent relier à des "démons" - qui pullulaient dans les croyances d’Europe centrale au Moyen Âge -, plutôt qu’à des vampires, d’autres avaient été exhumées dans des cimetières de Pologne, dont les plus anciens remontent jusqu’au 6e siècle. En Slovaquie, en Hongrie, en Autriche, en Roumanie, en Allemagne et en Italie, des sépultures similaires ont également été identifiées.
De nombreux rituels "anti-démons" recensés depuis le 6e siècle
"La faucille avait un double usage", confiait à Sciences et Avenir en 2016 le médiéviste et spécialiste des mythes et croyances populaires Claude Lecouteux. Les Slaves croyaient en effet que des objets en fer durs et pointus, destinés à "sabrer" ou à "poignarder", détenaient des vertus "apotropaïques", c’est-à-dire destinées à détourner le danger. Le dépôt de faucilles en travers du cou des cadavres n'est toutefois pas la seule précaution contre les éventuelles résurrections démoniaques recensée par les archéologues.
Ça et là en Europe, certains défunts présentaient d’énormes pierres sur leur poitrine ou sur leur tête pour les empêcher de bouger, quand des briques n’étaient pas directement placées dans leur bouche (site de Lugnano, en Italie) ; d’autres reposaient sous d’épineux buissons spécialement plantés sur leurs tombes pour agripper leurs linceuls le jour où ils décideraient, sous la forme de spectres, de s'aventurer dans le monde des vivants ; d’autres encore avaient été placés face contre terre pour les empêcher de se redresser ; les moins chanceux, quant à eux, avaient été directement décapités, et parfois même délestés de l’une de leur jambe si toutefois ils étaient tentés de sortir même sans leur crâne (série de défunts trouvés sur le site de Rynek Główny à Cracovie, en 2008).
Des victimes d'épidémies ?
Mais pourquoi diantre ces défunts étaient-ils considérés comme des créatures des forces du mal ? Après les premières découvertes de sépultures rituelles du type, un lien entre le caractère surnaturel des individus et leur origine étrangère fut établi. Rapidement pourtant, les rapports isotopiques du strontium radiogénique (un indicateur du régime alimentaire) extraits de l'émail dentaire prouvèrent que les "vampires" étaient des locaux, et non des gens de passage.
Les auteurs d'autres travaux sur les mystérieuses tombes de Drawsko émirent alors une autre hypothèse : les personnes étiquetées comme "vampires" auraient pu être les premières victimes des épidémies de choléra, un facteur de mortalité répandu à l'époque. Lesley Gregoricka, première auteure d'une étude parue en 2014 dans Plos One, écrivait : "Les gens de la période post-médiévale ne comprenaient pas comment les maladies se propageaient, et plutôt qu'éclairés par une explication scientifique pour ces épidémies, le choléra et les décès qui en résultaient étaient expliqués par le surnaturel - dans ce cas, les vampires."
Un faciès particulier
Le squelette découvert récemment à Pień présente toutefois une caractéristique intrigante : une incisive très saillante. Selon les chercheurs de l'Université Nicholas Copernicus, la femme pourrait avoir eu de son vivant une apparence inhabituelle ayant conduit les habitants du village du 17e siècle à la qualifier de sorcière ou d'autre figure des ténèbres. Ses restes devraient à présent être soumis à une analyse plus détaillée à Toruń.
Au centre de la mâchoire se distingue une incisive plus proéminente qui aurait conféré à la personne un faciès particulier. Crédits : Miroslav Blicharski/Aleksander Poznan
Il ne s'agissait pas de la première fouille organisée à Pień : entre 2005-2009, plusieurs tombes datées du début du Moyen Âge avaient livré de précieux objets funéraires, comme des bijoux en argent, des pierres semi-précieuses, un bol en bronze et des fragments de vêtements en soie. Revenus en 2022 dans l'espoir de trouver des sépultures semblables, les archéologues avaient finalement décidé de se tourner, après une fouille infructueuse, du côté d'un cimetière voisin plus récent de quelques siècles. Dans cet espace gisait la vampire immobilisée par la faucille. La voici désormais libre.
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