
Des chirurgiens et réanimateurs français rapportent un cas remarquable de tentative de suicide par arbalète. Cette observation clinique est exceptionnelle du fait du trajet de la flèche et de ce que cela a impliqué pour la gestion des voies aériennes supérieures du patient. Son cas est décrit par des cliniciens de l’unité de chirurgie ORL et cervico-faciale et du service de réanimation chirurgicale et traumatologique du CHU de Reims dans un article des European Annals of Otorhinolaryngology, Head and Neck Diseases paru en ligne le 22 janvier 2020.
Suite à une rupture amoureuse, le patient âgé de 28 ans tente de mettre fin à ses jours en se tirant une flèche dans la tête en utilisant une arbalète de loisir. Le point d’entrée du projectile est situé au menton, au niveau de la base de la langue. La pointe de la flèche est conique. Contrairement aux flèches des arbalètes de chasse, son extrémité n’a pas la forme d’un diamant et n’est pas pourvue d’ailettes.
Plaqué contre le mur
La flèche a pénétré à la face antérieure du cou et a perforé le milieu du front avant de se planter dans le mur contre lequel le jeune homme était assis. Celui-ci, incapable d’ouvrir la bouche et immobilisé contre le mur, reste conscient jusqu’à l’arrivée des secours. L’article ne dit pas qui les a prévenus, ni combien de temps notre homme est resté dans cette situation aussi inconfortable que stressante.
A l’arrivée des secours, la victime ne présente pas de signes neurologiques et ne saigne pas. Sa pression sanguine est normale. L’absence d’hémorragie ou d’effondrement de la pression artérielle tient sans doute au fait qu’il se produit une rétraction élastique des artères et veines et que le corps étranger comprime les tissus.

Incroyable trajet de la flèche
Une fois la flèche sectionnée au niveau de son point de pénétration dans le mur, notre homme est transféré à l’hôpital. Le scanner ne révèle pas de lésion vasculaire (notamment des artères qui vascularisent la langue), ni de lésion cérébrale ou nerveuse.
La flèche a traversé le plan de la ligne médiane de la face tout en épargnant cependant toutes les structures vitales de la tête et du cou. Elle n’a ainsi provoqué aucune lésion des artères linguales et des artères ethmoïdales assurant la vascularisation des fosses nasales. Le projectile a également épargné le sinus frontal droit, ne provoquant pas de fracture de sa paroi postérieure. De même, il n’a pas provoqué de déchirure de la dure-mère (méninge), ni de lésion du lobe frontal.
Trachéotomie impossible
Comme le soulignent Xavier Dubernard et ses collègues chirurgiens et réanimateurs, la difficulté majeure dans un tel cas est la gestion des voies aériennes supérieures dans la mesure où la partie inférieure de la flèche se situe au milieu du cou et qu’elle descend très bas. Le projectile limite donc l’accès chirurgical à la région antérieure et médiane du cou.
Par ailleurs, l’ouverture de la bouche du patient est mécaniquement impossible. En effet, la flèche qui a transpercé le plancher buccal a provoqué un trismus, une contraction musculaire involontaire et irréductible. Par ailleurs, une trachéotomie ne peut être réalisée car elle implique une anesthésie locale, un geste qui nécessite une totale coopération de la part du patient. Ce qui est évidemment illusoire dans une telle situation de stress et d’angoisse.
En outre, du fait du trajet de la flèche sur la ligne médiane, l’incision de la trachéotomie aurait due être réalisée latéralement, ce qui aurait exposé au risque de lésion vasculaire. Malgré tout, les instruments nécessaires pour effectuer une trachéotomie en urgence sont à portée de main de l’équipe médicale en cas de survenue d’une détresse respiratoire ou d’une hémorragie.
Chez ce patient conscient, une autre possibilité aurait été de réaliser une intubation endoscopique nasotrachéale, geste consistant à introduire par la narine une sonde que l’on place ensuite dans la trachée. Cette option n’a pas été retenue car l’exploration des fosses nasales et le scanner avaient préalablement montré que la flèche avait provoqué une déviation de la cloison nasale. Dans un tel contexte, l’intubation endoscopique aurait pu provoquer une hémorragie, une détresse respiratoire ou l’apparition ultérieure d’un hématome.
Le patient, qui respire spontanément, reçoit un sédatif en salle d’opération. Les chirurgiens sectionnent rapidement les ailerons de la partie inférieure de la flèche et la retirent en la dirigeant vers le bas tandis que le patient reçoit de l’oxygène à haut débit au masque nasal. Après le retrait de la flèche, le patient est immédiatement intubé. L’exploration de la cavité buccale ne révèle aucun saignement ou hématome, en particulier au niveau de la base de la langue. Les plaies sont suturées.
Le patient reste 48 heures en soins intensifs. Il est ensuite transféré dans le service d’oto-rhino-laryngologie, avant d’être admis en psychiatrie 72 heures après son admission.
Rares patients miraculés
En 2016, un Américain de 31 ans avait eu la chance de remarquablement s’en sortir après s’être tiré une flèche d’arbalète dans la tête. Il avait été admis aux urgences dans un état clinique étonnement stable.
La flèche, de 8,5 cm de long, avait traversé l’arrière des voies nasales (naso-pharynx). Elle avait pénétré une région située aux confins de la face et de la base du crâne (fosse ptérygopalatine) mais n’avait endommagé aucun élément vasculaire. L’extrémité du projectile était ressorti au niveau de la mandibule gauche, à proximité d’un important rameau nerveux qu’elle avait épargné.
Le patient éveillé avait subi une trachéotomie avant que les chirurgiens ne retirent la flèche lors d’une intervention utilisant une approche dite mandibular swing, consistant à luxer la mandibule à l’extérieur puis à la repositionner. Les suites opératoires avaient été simples. Le suivi avait montré une complète cicatrisation des plaies, sans complications.
Enfin, en 2015, des chirurgiens du CHRU de Nancy ont rapporté le cas d’un patient de 37 ans souffrant de schizophrénie sévère qui s’était tiré une flèche d’arbalète dans la bouche lors d’une tentative de suicide. Lui aussi s’en était fort heureusement très bien sorti.
Marc Gozlan (Suivez-moi sur Twitter, sur Facebook)
Pour en savoir plus :
Dubernard X, Dutheil C, Legros V. Attempted suicide with a crossbow. Eur Ann Otorhinolaryngol Head Neck Dis. 2020 Jan 22. pii: S1879-7296(20)30006-5. doi: 10.1016/j.anorl.2020.01.005
Panata L, Lancia M, Persichini A, Scalise Pantuso S, Bacci M. A crossbow suicide. Forensic Sci Int. 2017 Dec;281:e19-e23. doi: 10.1016/j.forsciint.2017.10.019
Shah MU, Sridhara SK, Wolf JS, Ambro BT. Retained crossbow bolt after penetrating facial trauma. Ear Nose Throat J. 2016 Jan;95(1):E1-4.
Joud A, Merlot I, Klein O. Foreign body of the brainstem by penetrating injury: Conservative treatment. Corps étranger du tronc cérébral par plaie pénétrante : traitement conservateur. Neurochirurgie. 2015 Dec;61(6):401-3. doi: 10.1016/j.neuchi.2015.09.004