" Kelvin McKenzie, ancien rédacteur en chef du “Sun”, le plus célèbre des tabloïds anglais, est passé aux aveux. Selon lui, des journalistes véreux seraient à l’origine de la légende de Jack l’Eventreur. Une mystification qui fait passer pour du travail d’amateur l’actuel scandale des écoutes téléphoniques du “News of the World”.
Kelvin McKenzie, ancien rédacteur en chef du Sun, le plus célèbre des tabloïds anglais, est passé aux aveux. Selon lui, des journalistes véreux seraient à l’origine de la légende de Jack l’Eventreur. Une mystification qui fait passer pour du travail d’amateur l’actuel scandale des écoutes téléphoniques du News of the World.
« On a démasqué celui qui a signé Jack l’Eventreur », proclame Kelvin McKenzie dès l’entame de cette enquête intitulée Jack l’Eventreur, mythe ou réalité ?, diffusée hier soir sur Planète+ Justice – et opportunément réalisée deux ans avant l’affaire Murdoch qui embarrasse aujourd’hui le gouvernement anglais, ce qui en fait tout le sel. L’homme qui a signé la lettre imposant le surnom de Jack l’Eventreur (« Jack The Ripper ») s’appelle Frederik Best, il est journaliste au journal du soir The Star. Il a agi sur ordre de sa hiérarchie désireuse de rendre sensationnel le meurtre d’une prostituée dans le quartier malfamé de Whitechapel.
Curiseusement – ou pas –, The Star a vu le jour en même temps que les meurtres de Whitechapel, en 1888. Fort de son expérience de patron du Sun, Kelvin McKenzie est en mesure de reconstituer l’origine de l’incroyable forfaiture. « Assez astucieusement, le rédacteur en chef s’est dit : “Que puis-je faire pour rendre tout cela encore plus effrayant ?” » Assez astucieusement, les journalistes du Star inventent des liens totalement bidons avec d’autres meurtres de prostitués qui n’ont absolument rien à voir, ce qui permet de faire croire à l’existence d’un tueur en série et de titrer en une : « La mort rôde dans l’est de Londres ».
« Les ventes ont explosé et le rédacteur en chef s’est pris pour un génie. Je comprends ce qu’il a ressenti », poursuit Kelvin McKenzie, avouant à demi-mots avoir employé les mêmes procédés. Le révolutionnaire rédacteur en chef du Star se nomme Thomas Powell O’Connor. Souhaitant exploiter les grands progrès de l’alphabétisation, il cible les lecteurs des classes populaires en leur proposant « un journal bon marché et efficace. C’est un tenant de ce que l’on appelle à l’époque le “nouveau journalisme”, qui se caractérise par un style d’écriture plus accessible, sensationnel… et bourré d’affirmations hasardeuses. »
Ce « scandaleux mépris pour la vérité » se double donc d’un sensationnalisme malsain. « The Star n’a épargné aucun détail à ses lecteurs. Il a décrit dans leurs moindres détails les blessures infligées à Annie Chapman. »
The Star fait également preuve d’un esprit novateur en donnant une grande importance aux titres et aux illustrations, encore très discrets dans les journaux de l’époque. Des gravures plus monstrueuses les unes que les autres misent sur le voyeurisme du lectorat.
Au contraire, Kelvin McKenzie, l’ancien rédacteur en chef du Sun, quand il se rend à l’ancien institut médico-légal de l’est de Londres pour détailler les méthodes du tueur avec l’aide d’un pathologiste, ne recourt pas à un effrayant cadavre tout droit sorti de la morgue. Il s’appuie sur « un modèle vivant », une accorte jeune femme en soutien-gorge.
« Il a fait plusieurs incisions après lui avoir tranché la gorge dont l’une a fait apparaître les intestins. » « Il a fendu l’abdomen et il a retiré l’utérus. » « Le tueur fait de l’utérus de sa victime un trophée. » Ces explications purement scientifiques sont tout de même moins ignominieuse que celles du Star qui, rappelons-le, n’épargnait aucun détail à ses lecteurs. Ce qui fait dire à un historien que « le Star avait des infos sur la nature des organes retirés et les diverses incisions à la gorge. De nos jours, on n’a pas droit à un tel luxe de détails. » A moins que des journalistes de News of the World mettent Scoltland Yard sur écoute ?…
A propos de News of the World, Kelvin McKenzie décide de rendre visite à Colin Mailer, rédacteur en chef de l’hebdomadaire détenu par Rupert Murdoch – pas encore fermé au moment du tournage de ce documentaire. « Qu’est-ce que le journalisme actuel doit au Star et autres journaux populaires de cette époque ? » lui demande-t-il. « Ce fait divers a permis à ces journaux d’opérer un changement de ton, explique le rédac chef de News of the World. Ils frappaient fort, il faisaient du populisme, c’est l’avènement de l’ère des tabloïds. »
Vous avez bien lu : dès 2009, bien avant d’être entendu devant la Chambre des communes, le patron de News of the World avouait faire du populisme ! Mieux, il le revendiquait : « Tout ce qui a un lien avec le meurtre en série, le sordide, les mutilations, le sang est vendeur. Chaque fois qu’un crime fait la une, le succès est au rendez-vous. »
Kelvin McKenzie, son ancien confrère du Sun, adhère en conclusion à la même vision du journalisme. « C’est formidable ! L’homme qu’il faut saluer derrière cette histoire n’est autre que le rédacteur en chef O’Connor. Il est l’auteur d’un des meilleurs gros titres de l’histoire : “Jack l’Eventreur”. » Inventer un personnage pour vendre du papier, voilà en effet une formidable profession de foi."
Un article de Samuel Gonthier.
Source : TELERAMA.FR (19 août 201
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