Nancy Kilpatrick La Bible Gothique
U really goth me
Le mot "gothic rock" a été employé pour la première fois en 1967 par John Stickney dans un article consacré aux Doors . Le charisme sensuel et torturé de Jim Morrison, la puissance lyrique indéniable des textes et instrumentations du groupe, célébrations puisant allègrement dans les ténèbres, visions poétiques souvent rapprochées de Baudelaire, de Joyce et de Rimbaud, tout autant que leur fascination pour le symbolisme, les états de conscience modifiés, la cruauté et l’étrange, tout cela se trouva rassemblé dans le terme gothic rock sous la plume de Stickney.
It hurts to set you free
But you’ll never follow me
The end of laughter and soft lies
The end of nights we tried to die
The Doors, "The End"
Dans son acceptation courante, le mouvement gothique est de prime abord lié à un phénomène musical né au Royaume-Uni à la fin des années 1970 sur les cendres laissées par l’embrasement punk, et incarné par des groupes comme Siouxsie and the Banshees, The Cure, Joy Division, Bauhaus, UK Decay, Virgin Prunes, Danse Society, The Sisters of Mercy, Southern Death Cult, Play Dead – Christian Death représentant, par exemple, l’expression américaine de ce mouvement britannique.
Cependant, ce n’est pas avant l’année 1983 que le mouvement musical gothique se distingua définitivement du mouvement punk. Les sous-genres new wave explosaient : dark wave, dark folk, cold wave, batcave, death rock. Cependant, la musique joua un rôle fédérateur, ce qui permit au mouvement gothique d’élargir considérablement son horizon et d’accéder au niveau de culture à part entière – disons : de sous-culture, ce qui, loin d’être péjoratif, est un atout : une culture distincte de la culture dominante. Et les gothiques chérissent tant les souterrains ! La situation et le symbole pour une fois en adéquation…
Après un léger déclin, le mouvement musical gothique se raviva avec la fréquentation des scènes industrielle et électronique et le rapprochement avec la scène metal, ce qui donna lieu, conséquemment, à controverses et dispersions.
Mais là n’est pas l’essentiel.
White on white translucent black capes
Back on the rack
Bela Lugosi’s dead
The bats have left the bell tower
The victims have been bled
Red velvet lines the black box
Bela Lugosi’s dead
Undead undead undead
The virginal brides file past his tomb
Strewn with time’s dead flowers
Bereft in deathly bloom
Alone in a darkened room
The count
Bela Logosi’s dead
Undead undead undead
Bauhaus, "Bela Lugosi’s Dead", 1979
La musique n’est qu’un aspect – fortement fédérateur, certes, et en évolution constante – de notre sujet. La sous-culture gothique est la plus diversifiée des sous-cultures, sinon la plus riche. Et la plus pérenne. Depuis trois décennies, elle n’a cessé de se développer sans jamais être rattrapée – ni « vampirisée » – pas les médias de masse.
L’art de vivre gothique – car c’est bien de cela qu’il s’agit – s’est épanoui de génération en génération en se nourrissant de littérature, en créant ses propres codes, son style vestimentaire, son répertoire musical, son raffinement érotique, et en se situant de façon originale et sans cesse réinventée par rapport au mystère, à la pénombre, à la magie.
Comme un fil noir traversant l’histoire : l’écriture gothique ? Graphie de l’alphabet latin apparue à la fin du Moyen Âge et aussi appelée « lettre noire ». Au début du XIIIe siècle, la peinture gothique se différenciait de la norme romane en affirmant un style plus sombre et plus émotionnel, tout en cherchant son inspiration dans la vie (notons que les peintres représentant ce courant sont essentiellement Italiens, sauf Maître des Anges rebelles – authentique, v. 1340 – qui était Français). L’architecture gothique ? Durant la seconde partie du Moyen Âge occidental, elle se distingua par une identité très forte, tout autant philosophique qu’architecturale, au point que le mouvement romantique la réhabilita – Notre-Dame de Paris (1831) de Victor Hugo pour l’exemple le plus évident. Le roman gothique ? Genre littéraire anglais (déjà…), précurseur de Poe, du roman noir, de la littérature fantastique, initié par des auteurs comme l’abbé Prévost (L’Histoire de Monsieur Cleveland, fils naturel de Cromwell, 1731-39) et Horace Walpole (Le Château d’Otrante, 1764). Notons que Dickens, Balzac, Verne, Hugo, chacun à sa façon, s’inspirèrent du roman gothique.
Ceci n’est qu’un aperçu superficiel des territoires initiatiques que Nancy Kilpatrick explore et documente complètement avec sa Bible gothique.
Au final, comment définir la culture gothique ? Qu’est-ce qu’un gothique ? Une personne qui écoute telle musique, se réclame de tel ou tel courant artistique, passé ou présent, adopte telle mode vestimentaire, etc ? Oui et non, tout cela et son contraire. L’esprit gothique est insaisissable, et c’est ce qui fait sa force. Il s’agit de faire résonner le non-conformisme et la conscience tragique de nos destinées… avec raffinement, subtilité et dérision.
Sébastien Raizer
Directeur de la collection Camion Noir
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"CE QU'IL Y A DE MEILLEURS DANS LES RELIGIONS, CE SONT LEURS HERETIQUES."Nietzsche
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