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MORBIDES RANDONNEES DANS LES MUSEES DE LA TORTURE
WEBER,PATRICK
Page 4
Samedi 4 juillet 1992
MORBIDES RANDONNÉES
Brrrh! Étrange atmosphère dans les salles des musées de la torture. Suivez le guide...
Un homme au regard sadique écrase la tête d'un malheureux sous l'oeil amusé d'une mère et de ses enfants. Un rat dévore la poitrine d'un supplicié devant un groupe de touristes avides de sensations. Où sommes-nous? Nous arpentons les salles de lieux étranges qui font de plus en plus recette. Les amateurs de sensations fortes viennent y satisfaire leurs pulsions morbides en se plongeant dans la face cachée de notre histoire.
Eh oui! Derrière les images d'Epinal, les dentelles et les joutes courtoises du temps jadis, combien de condamnés ont-ils péri dans des culs-de-basse-fosse après avoir subi les interrogatoires les plus atroces? Repentir, avouer, abjurer... tous les prétextes étaient bons pour recourir à la question. Quant aux moyens utilisés, ils prouvent l'extraordinaire esprit d'invention dont peut faire preuve l'être humain lorsqu'il s'agit de faire souffrir son prochain. De tout ces malheureux, pauvres hères torturés dans leur chair et dans leur âme, il ne nous reste souvent que le lointain écho de cris de douleur. Sans oublier quelques objets barbares et inquiétants.
DES MUSÉES
À GRAND SPECTACLE
Pour plaire aux touristes, tout château ou donjon qui se respecte se doit de posséder une salle de torture avec, en prime, quelques instruments morbides en parfait état de marche. La salle de torture du château de Beersel fait partie des classiques du genre. Sans se départir de son sourire angélique, la charmante guide explique qu'on attachait les mains là, les pieds ici et que la grande manivelle du bout de la table servait à étirer progressivement le corps. La démonstration impressionne mais elle reste désespérément abstraite. Au niveau didactique, peut mieux faire. Quelques humanistes ont heureusement eu la bonne idée de ressusciter l'horreur de ces séances révolues. Un souci de vérité guidé, selon eux, par la volonté de dénoncer leur cruauté. Bof! va pour l'alibi... Au plus profond de nous-mêmes, nous savons très bien que brûle une curiosité morbide, comme une malsaine envie de savoir!
Amsterdam possède depuis longtemps son terrifiant Martelwerktuigen Museum au coeur de la ville. A Londres, 650.000 personnes visitent chaque année The London Dungeon. Mais c'est à Paris, et plus précisément au Forum des halles, que nous vous invitons dans les lignes qui suivent. Ames sensibles, il est encore temps de passer votre chemin...
Créé à l'initiative du groupe anglais Kunick (à l'origine du London Dungeon et du York Dungeon), le musée a été baptisé «les Martyrs de Paris». Situé sur l'emplacement des Halles, anciennement cimetière des Innocents, il propose un voyage au bout de l'horreur. Première source d'inspiration: l'histoire mouvementée de ce quartier chaud de Paris. Le rez-de-chaussée est consacré aux grands épisodes historiques et criminels de la ville à travers les âges. Les moyens sont dignes des meilleures superproductions hollywoodiennes et les faits divers les plus macabres ont été reconstitués avec un réalisme étonnant. Les mannequins s'animent, des regards s'allument, des bouches se mettent à parler... Suivons le sens de la visite. «La Danse macabre» rappelle qu'au Moyen Age le bon peuple formait régulièrement, à proximité du charnier du cimetière des Innocents, une farandole étrange menée par un personnage symbolisant la mort. «La Recluse» raconte l'histoire d'Alix de La Bourgotte qui se fit enfermer pendant quarante-huit ans dans un reclusoir, sorte d'étroite loge de pierre, pourvue d'une petite fenêtre pour tout contact extérieur. «La Cour des Miracles» reconstitue l'ambiance fantomatique du célèbre coupe-gorge alors qu'à quelques mètres de là, «Jacques de Molay», Grand Maître des Templiers, périt sur le bûcher. Le roi Philippe le Bel assiste, impassible, à la malédiction que lui lance le supplicié... L'histoire judiciaire est illustrée par l'«Affaire des poisons» et l'horrible «Supplice de Madame de la Motte». L'intrigante avait trempé dans le fameux épisode du collier de la Reine en falsifiant une signature de Marie-Antoinette. Démasquée, la prétendue comtesse de la Motte fut fouettée avant d'être marquée au fer rouge. Elle se débattit tellement que le bourreau lui appliqua le fer, non sur l'épaule, mais sur le sein. Au rayon des faits divers, citons «L'Affaire Jabirovska», «L'évasion de La Valette» et le célèbre «Vampire de Montparnasse». Ce dernier n'était autre qu'un jeune sergent qui, au milieu du siècle dernier, ouvrit une dizaine de cercueils du cimetière Mont-parnasse pour se livrer à des mutilations sur les corps des femmes récemment décédées. Autre pièce de choix à ce menu: la reconstitution de l'attirail des barbiers-chirurgiens et des opérateurs ambulants. Comme quoi, médecine et torture furent, jadis, des sciences très voisines... Le clou de la première section du musée est assuré par «Sa Majesté Louis XVI» en personne dont le procès, la sentence, les adieux à la famille et l'exécution sont minutieusement retracés. A intervalles réguliers, le pauvre Roi perd la tête sous le bruit cinglant de la guillotine.
UN ATTIRAIL
DIABOLIQUE...
A l'étage supérieur, d'autres frissons sont garantis. Ici sont exposés des moyens sophistiqués de torture traduisant l'extrême raffinement de notre Moyen Age. Ebullition, cage aux chats sauvages, noyade, supplice du garrot, pucelle de fer... une simple énumération suffit à se faire une idée du supplice dissimulé derrière les vocables imagés. Certaines tortures requièrent un minimum de matériel et brillent par leur efficacité. A ce titre, le supplice de la chèvre léchant la voûte plantaire (préalablement salée) d'un condamné est redoutable. D'autres, comme la roue ou la cage de la potence, nécessitent plus de moyens. Classique, le supplice de l'entonnoir consistait à «désaltérer» à satiété un condamné. Psychologique, le supplice des gouttes d'eau imposait au pauvre supplicié d'endurer le son perpétuel de petites gouttes d'eau. Gardons pour la fine bouche le supplice du rat sur la poitrine qui ne devrait même pas trouver grâce auprès des plus ardents défenseurs des animaux. La célèbre collection d'instruments de torture du château de Nuremberg qui inspira Edgar Allan Poe est également exposée. Chaque instrument est assorti d'un mode d'emploi correspondant au supplice ainsi que le fonctionnement exact de l'appareil. Certaines pièces semblent issues d'une chambre des délices sado-masochistes. D'autres, en revanche, ne dépareilleraient pas les pages d'un catalogue de bricolage. Horreur, fascination... plaisir. Le visiteur des Martyrs de Paris est comme le spectateur de cinéma. Il ferme les yeux et ne peut s'empêcher de les ouvrir au moment où le psychopate déclenche sa tronçonneuse dans l'ascenseur.
C'est connu, les bains d'hémoglobine soignent souvent les affections les moins avouables. Et les martyrs de jadis sont parfois les alibis d'aujourd'hui...
PATRICK WEBER
Les Martyrs de Paris, Forum des Halles, Porte du Louvre, Cedex 301, 75045 Paris Cedex 01. Tél. (1) 40.08.13. The London Dungeon, 28 Tooley Street, London - SE 1. Tél. 571-403.0606. Martelwerktuigen Museum, 27 Leidse Straat, Amsterdam 1017 NT.
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