Après trois ans de recherches, Michel Moatti, universitaire et journaliste, lève dans “Retour à Whitechapel” le mystère sur ce criminel resté dans l’ombre depuis 125 ans
C’est peut-être parce qu’il ne le cherchait pas qu’il a fini par le trouver. Longtemps journaliste, aujourd’hui maître de conférence en sociologie à l’université de Montpellier, Michel Moatti, 55 ans, savait depuis un séjour à Londres, il y a vingt ans, combien l’histoire de Jack l’Éventreur avait marqué les Britanniques. "Tout le monde en parlait de façon récurrente, c’était très présent."
"Les quartiers où Jack l’Éventreur avait frappé étaient les plus misérables"
Michel Moatti
Bien plus tard, il lit un pavé de Charles Booth, un sociologue qui cartographia les quartiers où s’étaient produits ces crimes jamais élucidés. Cinq prostituées, tuées à coup de couteau, entre août et novembre 1888. Égorgées, lacérées, martyrisées. Et ce surnom, pour un tueur invisible. "Les quartiers où Jack l’Éventreur avait frappé étaient les plus misérables. Cette dimension sociale m’a happé", avoue ce passionné de Londres, du XIX e siècle et de la description que Jack London a fait de sa misère dans Le peuple de l’Abîme.
"Je ne voulais pas écrire sur lui, mais sur l’atmosphère de l’époque"
Michel Moatti
Alors Michel Moatti retraverse le Channel, se plonge dans le dossier de l’enquête de Scotland Yard, publique depuis 1992. Dans les journaux d’alors. Va marcher sur les lieux des crimes où chaque soir, des guides amènent des touristes pour un “Jack the Ripper tour”. "Je ne voulais pas écrire sur lui, mais sur l’atmosphère de l’époque."
Tout bascule lorsqu’il a entre ses mains la photo prise par Scotland Yard du cinquième meurtre, celui de Mary Jane Kelly. Une ressemblance avec un tableau le frappe. "C’était un moment très fort, très dur. Je suis passé dans l’affaire criminelle, dans l’investigation, avec cette question : qui est Jack l’Éventreur ?"
"Scotland Yard n’a jamais étudié cette piste"
Michel Moatti
Il découvre un suspect, tire le fil, suit son idée fixe. "Scotland Yard n’a jamais étudié cette piste. Une journaliste canadienne avait évoqué cette théorie dans les années 1980. Mais je suis le premier à la formuler aussi directement." Pour en parler, il opte pour la fiction. "Je voulais écrire à la première personne mais cela me limitait. J’ai inventé une héroïne qui parle à ma place."
Réservons à ses lecteurs le secret de sa découverte. Elle est à l’opposé des théories de l’époque, qui voyaient en Jack l’Éventreur un aristocrate débauché ou un policier pervers. Pour Michel Moatti, le tueur est un produit de ces quartiers misérables. "Le terreau était terriblement fertile pour qu’une personnalité comme Jack l’Éventreur émerge là, dans une zone d’abandon social absolu. Ces filles n’étaient rien, il avait un sentiment de légitimité à les prendre. Socialement, elles étaient des vaches à lait. Et, pour lui, elles étaient aussi des bêtes de boucherie."
UNE ENQUÊTE À REBOURS
Alors que Londres tremble sous les bombes nazies, Amelia, une infirmière, apprend en 1941 que sa vie cache un mystère : son père lui avoue dans une lettre posthume que sa mère n’est pas morte de maladie, comme elle le croyait, lorsqu’elle était petite. Mais qu’elle s’appelait Mary Jane Kelly, qu’elle était prostituée, et qu’elle fut la dernière victime de Jack l’Éventreur, ce tueur sadique etmystérieux qui a sévi en 1888.
Une incroyable enquête à rebours
Alors, pour en savoir plus, Amelia se lance dans une incroyable enquête à rebours, en adhérant à la Filebox Society qui regroupe tous les experts de cette histoire criminelle hors du commun. Ainsi, petit à petit, elle remonte dans le passé, et parvient à identifier ce fameux Jack l’Éventreur, qui a échappé à la police londonienne, et à la sagacité de tous ceux qu’il fascine depuis.
Détail révélateur : Karl Marx fit à cette époque un séjour à Londres
Au-delà de cette révélation sur cette énigme, dont on ne pourra jamais formellement vérifier la validité, Retour à Whitechapel est un formidable voyage dans le passé, et une reconstitution terrible de ce Londres de la fin du XIXe siècle, entre révolution industrielle et capitalisme sauvage. Ce que Michel Moatti raconte de la condition ouvrière fait froid dans le dos et nourrit ce thriller historique réussi. Détail révélateur : Karl Marx fit à cette époque un séjour à Londres, ville qui eut une influence certaine sur sa pensée.
Source Midi Libre