Ramsey Campbell, auteur du roman d’horreur « L’Envoûtement », pense que le premier film réalisé avec vocation de faire peur aux spectateurs est le « Nosferatu » de F.W. Murnau. Ce film de 1922 est plus qu’un classique, c’est un miraculé.
Pour l’histoire, Murnau a souhaité mettre en scène une adaptation personnelle de l’œuvre de Bram Stoker. Avec de faibles moyens techniques et pour seule arme le cinéma muet, le réalisateur allemand va créer son film avec comme titre « Nosferatu » et non « Dracula » . La veuve de Stoker, n’ayant pas donné son accord pour cette adaptation au cinéma de l’œuvre de son défunt mari, attaqua en justice la production allemande pour plagiat. La destruction des négatifs du film fût ordonnée et heureusement pour nous des passionnés sont parvenus à cacher des copies. Oublions cet épisode judiciaire et concentrons-nous sur l’essentiel. Prendre un titre de film différent du célèbre roman de Stoker fût avec le recul un coup de génie, une action salutaire. Avec le temps de nombreuses adaptations légales ont vu le jour, mais la médiocrité des scénarios a rarement mis en valeur l’œuvre de Stoker. Le Nosferatu de Murnau a ainsi voyagé dans le temps sans jamais souffrir de la moindre comparaison. L’interprétation diabolique du possédé Comte Orlok allias Max Shreck a marqué les cinéphiles. En 1979, le réalisateur Werner Herzog a tenu à rendre hommage au génie de Murnau en sortant « Nosferatu , fantôme de la nuit », avec le très inquiétant Klaus Kinski dans le rôle du Comte Orlok. Le « Nosferatu »de 1922 est toujours considéré comme l’œuvre marquante du cinéma impressionniste allemand.
Cette première adaptation du roman de Stoker au cinéma est pour beaucoup la meilleure. Ce film semble au premier abord assez déroutant et long. Il faut se rappeler que c’est une oeuvre en noir et blanc et surtout un film muet. Plongez-vous dans l’ambiance créée à grand renfort d’architecture et de nature. La nature elle-même devient surnaturelle. Murnau montre ici qu’il est précurseur dans les effets spéciaux. Nous disposons à ce jour en France d’une copie en 35 mm du chef d’œuvre de l’expressionnisme allemand. Le film est teinté de bleu pour les séances nocturnes et sépia pour les séances diurnes. Tout est dans la suggestion et ici Max Shreck est imbattable. Le rôle semble lui convenir parfaitement. D’ailleurs, nombreux sont ceux qui pensent encore aujourd’hui qu’il était véritablement un vampire. Shreck signifie en allemand frayeur et c’est bien ce que nous ressentons à la vue du comte. Murnau a voulu dans son film prouver que le cinéma était un art et il s’est appuyé pour cela sur le personnage du mort vivant. Le vampire est le reflet d’une dualité. Murnau va mettre en évidence la représentation de la mort qui est figée, comme l’art pictural, sans oublier la vie qui est le mouvement, première particularité du cinéma. C’est une solution personnelle et propre à Murnau pour guider le cinéma sur la voie du septième art.
Une autre surprise nous attend. Le film est considéré comme visionnaire. Pour comprendre cette notion, nous devons revenir au titre lui-même. « Nosferatu » ne signifie ni mort-vivant ni vampire. « Nosferatu » vient du grecque nosophoros qui signifie « apporte la peste ». Il est vrai que dans la tradition slave les vampires étaient susceptibles de transmettre de nombreuses maladies dont la peste. Le film se situe d’ailleurs à Brême qui a connu au XIX° siècle de grandes pestes. Mais pour les connaisseurs, il faut chercher plus loin la logique de Murnau. En quittant le navire pour un pays étranger, le comte Orlok est accompagné d’une nuée de rats. Murnau était engagé contre le nazisme. Beaucoup voient dans le comte l’image d’Hitler et dans les rats qui déferlent un avertissement sur les ambitions belliqueuses du nazisme. Dans le film, le comte laisse sur son passage la peste. A l’époque le nazisme est surnommé la peste brune.
Murnau nous a laissé un chef d’œuvre que nous pouvons à présent trouver en DVD. Chaplin considérait lui-même ce film comme la référence et la perfection du cinéma muet. Ce film délaissé par les cinéphiles a été approprié par la subculture goth. Son absence de bande son est un atout pour le diffuser en toile de fond dans les clubs et les concerts goth. Un groupe anglais porte le nom de « Nosferatu » pour rendre hommage aux « schauerfilm » muets. Il ne faut pas passer à côté de la première adaptation au cinéma de l’œuvre de Stoker. N’en déplaise à Florence Stoker, la veuve de Bram.
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Il me venait des nausées en pensant que je pourrais un jour être enfermé dans un bureau ; que je ne serais pas libre de mon temps, mais contraint toute ma vie à remplir des imprimés" Mein kampf
Murnau a senti avant tout le monde le danger nationaliste. Hitler dès 1918 donnait des cours de nationalisme aux soldats. Ses qualités d'orateur allaient déjà être prépondérantes.
En 1919, Hitler devint membre du parti de Drexler, le DAP (Parti Ouvrier Allemand). Hitler commença alors sa conquête du pouvoir vers le peuple avec des discours tonitruants dans les brasseries en Bavière, avec le début des SA son service d'ordre( Röhm puis Göring, cela vous dit quelque chose?) Hitler devint le chef du DAP rabaptisé NSDAP en juillet 1921. Murnau avait assisté à certains discours de Hitler et avait senti le danger pour une Allemagne qui avait soif de vengeance. Le film est de 1922, et si je ne m'abuse, Hitler a fait de la prison en 1923 pour une histoire de putsch... Or, c'est pendant cet emprisonnement que Adolf Hitler a écrit le livre Mein kampf, mon combat.
Murnau avait déjà senti le danger de la montée du nationalisme et a traduit ses craintes dans son film. Je crains que la suite de l'histoire allemande lui ait donné raison. Je prie tout fin historien de l'histoire allemande de me reprendre si une erreur de date ou d'appréciation existe dans mon message. Je fais cela de mémoire, pardonnez donc mes raccourcis...
Le "führer" existait déjà politiquement en 1922, et c'est ainsi que les membres du DAP le surnommaient!Murnau avait prévenu par son film des dangers d'une Allemagne nazi. Malheureusement on ne l'a pas pris à l'époque assez au sérieux! J'ai découvert la finalité politique bien après avoir vu le film. L'engagement de Murnau n'en rend que plus belle et forte son oeuvre.