Le musée La Piscine, à Roubaix, vient d'acquérir le moulage d'une tête de guillotiné. Le conservateur du Musée d'art et d'industrie, Bruno Gaudichon, ne l'a pas cherchée très loin : à sa grande surprise, l'hôtel des ventes de la ville May et Duhamel le proposait aux enchères...
Cette tête est celle d'Abel Pollet, exécuté le 11 janvier 1909 à Béthune avec trois de ses complices. Passée des petits larcins aux vraies tueries, la « bande à Pollet » écuma la région au début du XXe siècle. Devant 10 000 spectateurs, le célèbre bourreau de la République, Anatole Deibler, exécuta la sentence de la cour d'assises de Saint-Omer.
Abel Pollet, natif de Vieux-Berquin, près d'Hazebrouck, aurait commis son premier vol à l'âge de 9 ans. De janvier 1898 au 30 avril 1906, associé à son frère Auguste et à plusieurs complices, la bande a écumé un territoire allant de la Belgique à la lisière nord-est du bassin minier, commettant 118 vols et agressions à main armée, sept tentatives d'assassinats, et massacrant six personnes. Abel Pollet a été condamné à mort et décapité, à Béthune, en janvier 1909. Une anecdote raconte que l'exécution a été filmée par les opérateurs de Pathé Actualités, mais censurée.
Autrefois, les facultés de médecine utilisaient divers organes d'assassins ou d'assassinés pour leurs cours d'autopsie. Dans son dernier roman, Les Mains cruelles (ed. Joëlle Losfled, 2010), l'écrivain lillois Michel Quint évoque les mains d'un condamné de la bande à Bonnot - Raymond Callemin, guillotiné en 1913 - conservées dans le formol à l'Institut médico-légal de Lille. On se souvient aussi de l'exposition « Crime et châtiment » au Musée d'Orsay, à Paris. Mais que vient faire ce trophée au Musée d'art et d'industrie de Roubaix ?
« Nous présentons de nombreuses techniques de sculpture, et celle-ci m'a semblé très originale, explique le conservateur. Le moulage sur nature, jugé plus vrai que la photographie, nous intéresse. » « Ces techniques ont été employées jusqu'à la première guerre mondiale, poursuit M. Gaudichon. Nous ne connaissons pas le nom du sculpteur et allons entamer des recherches au ministère de la justice. »
L'étonnant faciès du moustachu originaire de Vieux-Berquin, près d'Hazebrouck, patiente dans la réserve du musée. « Je n'avais jamais vu cela dans une vente privée. Il existait autrefois des musées privés médicaux, mais cette tête-là appartenait à un particulier qui possédait son propre cabinet de curiosités ! Présentée sous globe, comme un bouquet de mariée. » Le moulage devrait être exposé dans l'extension prochaine du musée, à côté du masque mortuaire du professeur Patissou, qui dirigea les Beaux-Arts de Roubaix et près d'un tableau de Louis-Charles Spriet représentant le moulage d'un décapité de la Révolution française.
Au-delà de l'intérêt artistique, l'objet présente, selon le conservateur, un intérêt pédagogique. « Pour un public jeune, cet objet incarne la question de la peine de mort et l'horreur de la décapitation. Ces têtes servaient aussi un but scientifique : la boîte crânienne de Pollet est découpée, signe qu'on l'a autopsiée. On a dû chercher dans son cerveau un hypothétique gène de la criminalité... »
Les employés du musée ont beau savoir qu'il s'agit d'un plâtre, ils manipulent la tête d'Abel Pollet avec une gêne perceptible, tant l'objet semble réel, rapporte le conservateur.
© D’après Geoffroy Deffrennes pour Le Monde